En 1999, Sophie Rabhi-Bouquet, fille de Pierre Rabhi, a créé la Ferme des Enfants, une école alternative située dans un éco-village, en Ardèche. Basée sur la bienveillance et la méthode Montessori, elle a opéré en 2016 un virage pédagogique en devenant une école démocratique « girafe », reposant sur la confiance et la non-violence. Présentation.
Une école démocratique girafe : de Montessori à Sudbury
Depuis sa fondation, la Ferme des Enfants a toujours mis au centre de son projet le bien-être et l’épanouissement des élèves. Elle est située dans le cadre idyllique d’une ferme, au cœur de la nature. La bienveillance a été dès l’origine le credo de l’école. Sur le plan académique, l’établissement a d’abord fonctionné avec la pédagogie Montessori, une pédagogie active reconnue pour ses nombreuses vertus et son matériel de grande qualité. Mais au fil des années, l’équipe pédagogique s’est heurtée à des difficultés et des constats qui l’ont menée à une remise en question. Pour résumer, faire le grand écart entre l’envie de respecter le rythme et les besoins de l’enfant et la nécessité de suivre les programmes de l’Éducation Nationale s’est révélé compliqué, voire impossible. La double injonction « Sois libre » et « Fais ce que je te dis » était intenable. L’adulte devait « forcer », insister, pour que les apprentissages imposés soient faits, tout en faisant régner l’attention par une autorité disciplinaire. La question s’est finalement posée : imposer les apprentissages aux enfants, est-ce bienveillant ? Est-ce respectueux ? La réponse à cette question a conduit l’équipe à entamer une transition pédagogique et à s’orienter vers un modèle qui venait d’émerger en France suite à la création de l’École Dynamique en 2015, première école française basée sur le modèle américain dit Sudbury. Les écoles Sudbury sont des écoles démocratiques où aucun programme n’est imposé aux élèves, qui sont libres de leurs choix d’apprentissages, du moment qu’ils respectent les règles du collectif. Ce modèle repose sur la confiance dans les apprentissages naturels de l’enfant : on considère – et les neurosciences le confirment – qu’un enfant apprend seul, et naturellement, tout ce dont il aura besoin dans sa vie, sans qu’il soit besoin de le forcer, ou de le contraindre.
Des auteurs comme John Holt, Bernard Collot, Alan Thomas, Harriet Pattison, Peter Gray, ou encore André Stern ont nourri les réflexions de Sophie Rabhi-Bouquet et de son équipe en faveur des apprentissages naturels. Les neuroscientifiques ont conclu que la meilleure façon d’apprendre, la plus efficace, c’est quand il y a un engagement actif et volontaire de la personne. Or, cet engagement ne peut être imposé par l’adulte (ce qui est le cas dans le système classique).
Apprendre est naturel, du moment que l’enfant est immergé dans un environnement propice et stimulant, et qu’il apprend avec enthousiasme. L’école traditionnelle a tendance à faire perdre aux élèves cette soif d’apprendre, en raison du cadre coercitif et de toutes les contraintes infligées par l’école qui sont contraires aux lois naturelles du développement (ex : ne pas se déplacer dans la classe, ne pas parler, apprendre des choses qui seront inutiles dans le quotidien…). Ainsi, les élèves finissent par se sentir enfermés, privés de liberté, ennuyés ou stressés. Soit ils s’adaptent, soit ils se rebellent ou fuient, y compris à la Ferme des Enfants quand elle n’était pas une école démocratique, et ce, malgré toute la bienveillance qui la caractérisait !
« Aujourd’hui, les neurosciences valident complètement le fait qu’au plus l’enfant est libre, heureux, épanoui, soutenu émotionnellement et psychologiquement, en lien sécure avec son entourage, au mieux il apprend », écrit Sophie Rabhi-Bouquet dans l’ouvrage Apprendre dans une école démocratique girafe, basé sur une conférence donnée au Salon Primevère de Lyon en février 2018, qui relate l’expérience de la Ferme des Enfants et sa transition pédagogique.
Une école démocratique unique en son genre
Bien qu’elle fasse partie du réseau européen des écoles démocratiques (EUDEC), la Ferme des Enfants a conservé son identité et sa spécificité par rapport aux autres écoles démocratiques françaises. Comme ces dernières, elle est multi-âges, pratique la Communication Non Violente, l’empathie… Mais contrairement à la plupart des écoles Sudbury, les décisions collectives sont prises à l’unanimité et non à la majorité. De même, les « conseils de justice » qui régissent les infractions aux règles de l’école sont remplacés par des cercles de médiation, car l’équipe de la Ferme des Enfants considère que la sanction n’est pas bienveillante. Les élèves sont appelés des « citoyens ».
De 3 à 6 ans, les enfants bénéficient d’un cadre structuré autour de la pédagogie Montessori, et limité dans l’espace. A partir de 6 ans, ils peuvent jouir d’une grande liberté reposant sur une confiance mutuelle adulte/enfant. Ils ont à leur disposition un vaste terrain de jeu et d’expérimentation, sur plusieurs hectares : médiathèque, salle de jeux, yourte des arts, menuiserie, espace des médiations, cabane de la colère, dojo, salle de musique, cuisine, boulangerie, ferme, salle de cours… et à l’extérieur, des zones de repos, des zones de jeux de plein-air… Ils ont la possibilité d’aller dans le bois de Païolive, de garder les chèvres, de pêcher à la rivière, d’explorer les environs, etc.
Le multi-âge permet à chacun de se développer à son rythme, en suivant ses passions et centres d’intérêt. La possibilité d’être avec des personnes de tous âges offre l’occasion d’élargir son point de vue, ses connaissances, la diversité de ses interactions et son champ de compétences.
L’établissement aime se qualifier d’école démocratique girafe : la girafe est en effet l’animal que Marshall Rosenberg a choisi pour symboliser les qualités inhérentes à la communication non violente. La girafe prend de la hauteur, s’exprime peu et à bon escient, possède de grandes oreilles pour écouter avec soin et a un grand cœur.
Depuis septembre 2016, la Ferme des Enfants accueille des jeunes de 15 ans et plus qui ont terminé leur cursus scolaire et ne savent pas ce qu’ils voudraient faire professionnellement : les GAJA. Ayant besoin de temps pour mieux se connaître et se déterminer, cette école leur permet de réaliser leur projet, de suivre des cours, d’endosser des rôles dans la vie de la communauté (ex : encadrer les repas à la cantine, organiser la garde d’enfants après l’école, être responsable d’un élevage ou du jardin pédagogique….).
Pour en savoir plus sur ce beau projet, je vous invite à visiter le site La Ferme des Enfants et à lire l’ouvrage Apprendre dans une école démocratique girafe (Éditions l’Instant Présent).
Crédit : La Ferme des Enfants
Enseignant-chercheur de formation, je m’intéresse aux écoles alternatives depuis 2012, année où j’ai dû réfléchir à la scolarisation de mon premier enfant et où il m’est apparu que je voulais pour lui une école différente, bienveillante.
Depuis, je me passionne pour l’éducation alternative et la parentalité positive. J’aime faire découvrir des écoles innovantes.